lundi 31 octobre 2016

La science molle

Les sciences physiques c'est quoi ? Tout sauf une vérité. Le but de de la physique n'est pas de comprendre, de trouver une explication, mais d'établir un modèle pour anticiper la réalité.
L'une des plus grandes avancées dans ce domaine, c'est l'établissement du Principe Fondamental de la Dynamique par Newton.
Newton n'a pas dit "voilà, dans la réalité, l'accélération d'un solide est égal à la somme des forces qui lui sont appliquées" Cela n'aurait eu aucun sens ... c'est quoi une accélération ? C'est quoi une force ?
Newton a observé, et a constaté que si un solide était en mouvement, et que si on ne faisait rien pour le freiner (par exemple le retenir avec la main) alors ce mouvement était (presque) conservé.
Ben oui, ça peut paraître simple de se dire "si on ne fait rien, tout continu". Mais on aurait pu dire "si on ne fait rien tout s'arrête"
La première étape était donc de définir le mouvement. Rien de plus simple, il s'agit de l'évolution de la position.
Bon, il fallait donc définir la position. Rien de plus simple, il s'agit du lieu d'un objet dans l'espace.
Bon, il fallait donc définir l'espace. Ah, là ça devenait un peu plus compliqué, et on décida que l'espace qui nous entoure était incompressible, invariant: il pouvait être quadrillé de manière durable dans le temps, selon une unité de mesure, de la même manière que l'on quadrille une feuille avec des carreaux. La position d'un objet était donc définie par ses coordonnées dans ce quadrillage. Sa vitesse par la dérivée de cette position.
Cette définition étant établie, Newton dit:
"Je définis un monde, qui ressemble beaucoup au nôtre, et dans lequel l'évolution de la vitesse d'un objet est proportionnelle à la somme des forces extérieures qui lui sont appliquées. Si vous voulez décrire le monde réel par ce monde que je vous propose, il vous faudra quantifier les forces qui, appliquées à un objet, vous permettront de prédire de manière robuste la variation de vitesse d'un objet"
Dans le monde que nous proposait Newton, la physique se résumait donc à un listing de forces qui respectent l'équation proposée par le PFD.
La physique Newtonienne, c'est la recherche des expressions des forces induites par le passage d'un courant, par un débit d'eau, par un frottement ...
La physique Newtonienne, c'est stipuler qu'une loi est vraie (on l'appelle alors "principe"), et réserver notre réflexion pour trouver une manière de faire respecter cette loi.
De l'observation du mouvement d'un solide lancé sur une table, on peut par exemple poser que la force de frottement est proportionnelle à la vitesse de ce solide: en tâtonnant un peu, on peut facilement trouver le coefficient de frottement qui, une fois l'expression de la force intégrée dans le PFD, et une fois l'équation différentielle obtenue résolue, renseignera la bonne trajectoire du solide.

Par contre, dans ce fameux listing des forces, il en était une beaucoup plus difficile à décrire: celle qui faisait tomber la pomme par terre. Parce que oui, imaginer que la vitesse d'un palet lancé sur un parquet diminue "parce que ça frotte", c'était facile. Il y a bien une action mécanique du parquet sur le palet, une force extérieure visible. Mais la pomme, pourquoi elle tombe par terre ? C'est à ce moment qu'il a fallu inventer la notion de "Champ de Force" Quand on y pense, c'était peut être une solution de facilité: "s'il y a modification de mouvement, en rentrant dans le monde de Newton, c'est qu'il y a une force. On ne voit pas de force? ben on va dire qu'il y a une force invisible. On aura bien le temps de préciser la quantification de cette force plus tard" Pour l'étude des trajectoires d'objets sur une centaine de mètres, la force de gravitation a pu être vue au départ comme une constante, homogène partout sur la terre. Puis, en utilisant le PFD pour des échelles d'espace bien plus grandes, on a exprimé cette force comme résultante de l'action réciproque que 2 objets de masse non nulles ont toujours l'un sur l'autre. Cette "vérité" n'est qu'une nécessité pour l'utilisation du PFD.

De même, alors que tout se passait bien dans le meilleur des mondes, des gens bien curieux se sont aperçus que certaines particules pourvues de vitesse voyaient leurs trajectoires modifiées sans action mécanique apparente, mais surtout sans que la force gravitationnelle ne puisse expliquer ce phénomène. On (des gens illustres, pas le premier pèlerin qui passait par là) a donc inventé un nouveau champ de force: le champ magnétique.
De même que la force gravitationnelle n'était pas une vérité, mais un outil qui permettait de rentrer dans le monde de Newton, le champ magnétique n'est qu'une notion "par défaut": c'est le champ de force qui permet à l'étude des particules chargées de rentrer dans le PFD. Tout ce qui a été construit derrière découle de cette hypothèse de base: les constantes physiques aux valeurs improbables, les lois locales, les propriétés intégrales, l'association de ce champ à un autre champ de force ... tout est issu du fait que l'on ait posé qu'il existe un champ force agissant sur une particule chargée en mouvement, proportionnelle à la charge et au mouvement (bon évidemment rien n'est simple ... encore fallait il savoir ce qu'était une charge)

Il y a  donc plusieurs types de physiciens:
- les génies, qui proposent un modèle du monde, ou un lien entre plusieurs modèles
- les observateurs, qui vont accepter de rentrer dans ce modèle, et traduire les phénomènes naturels dans ce paradigme
- les utilisateurs, qui vont se servir des 2 premières catégories pour accomplir de grandes choses, ou des petites

Mais il est des physiciens plus bas de gamme, des physiciens aux capacités d'utilisateurs mais aux prétentions plus hautes. Ces physiciens proposent des modèles (il s'agit bien de sciences physiques donc), mais ultra limités à un domaine bien précis. Par exemple, "la décroissance énergique d'un machin dans un environnement truc suit une décroissance logarithmique d'une constante de temps à déterminer, et proportionnelle à la masse du truc et à un autre coefficient qui rectifie tout problème d'homogénéité des grandeurs" Bon, évidemment, ce genre de modèle ne marche que sur le phénomène observé, et dans certaines conditions d'observations initiales (en gros, on dit que l'observation est répétable, rien de plus) On change les conditions, et évidemment, ça ne marche plus. Alors, plutôt que de se dire que ce modèle, c'est du flan, on lui attribue toutes sortes de coefficients correctifs, dont les noms mettront en valeur le type qui a voué sa vie à refaire la même expérience, inlassablement, ...

Un ami, au détour de la présentation d'une thèse dans le domaine optique, a qualifié cette physique de "physique molle" Rien ne décrit mieux cette physique que cet adjectif: "molle"

Ce genre de physique, en effet,  c'est un peu ce qu'une demi molle est à un coït: ça peut toujours servir, on peut s'en contenter, mais honnêtement, on peut trouver mieux.